25 juin 2008

Un été sous la croix gammée



"Putain qu'est ce qui fait chaud ici on se croirait à Auschwitz !"
Mon prof d'allemand de terminale, le premier jour de cours.

L'hiver je veux l'été. Surtout le début, il y a toujours une émulation lors des résultats de concours, puis le soulagement, l'évidement de toutes les tensions accumulées en une seconde, la satisfaction personnelle est un corrosif puissant pour siphons bouchés, le KT sus-pubien pour frustrations anticipées engorgeants une vessie dilatée.

L'été est cruel.
Généralement c'est au réveil se son premier matin. Il faudra bien trouver un mécanisme de défense et c'est bien légitime de dénier ses rêves quand ils nous échappent.
Le théâtre est un salaud.
"on écrit pour le théâtre".
Mais lui se réserve le privilège
"pas de baskets, tu rentres pas".
La haine satellite (attention, plusieurs jeux de mots sont possibles, sauras-tu les retrouver ?) d'un corps à la dérive céleste transformée en orbite hélio-ego-centrique.

Il fait plus de 20 degrés et c'est absolument insupportable. J'ai lu dans un livre de psychopathologie que c'était sans doute dû à un stade oral très puissant. J'y crois totalement, c'est plus marrant qu'une hyperthyroïdie (que j'envisageais un temps) et ça explique beaucoup de choses (morsures des lèvres, réflexe de succion et peut-être même, en poussant, mon dégoût lors de la vision d'organes génitaux féminins).

J'ai juste fini la lecture de Pulsion de mort de Lucien Israël que, sur les conseils de mon interne, j'enchaîne sur la lecture de Jean Bergeret qui explique que la pulsion de mort est un concept de has been complet et que c'est quand même moins nervous breakdown de parler de violence fondamentale, et qu'au moins ça ne se résume pas à une spéculation philosophique, ce à quoi j'agrée.

On en arrive, logiquement, en combinant l'environnement estival et la violence fondamentale, à Spirale le Nazi.
Pour des raisons (évidentes) de logistique interne, je ne peux tuer la (les) personne(s) que je souhaite, alors, je déplace, sur ce que l'été amène en masse, à savoir les insectes. J'en arrive à un nombre parfois assez conséquent d'insectes exterminés par jour. Bien sûr, les moustiques avec leurs becs crochus sont mes cibles favorites et, de surcroît, leur extermination ne peut-être que bénéfique pour le projet d'extension de mon espace vital. Je préfère les tuer en mode manuel, à la main quoi (on n'est jamais mieux servi que par soi-même) et c'est la moustache affûtée, le bras droit tendu en l'air, bien droit dans mes bottes que j'abats mon bras sentencieux tel un coup de tennis sur ceux qui auront eu le malheur de me tourner les ailes. C'est mon coup favori, me dissimuler dans le décor et attendre qu'un se mette à voler devant moi, je fends alors l'air avec une aérodynamique recherchée puis, par le mouvement induit par la rotation d'épaule, la pleine paume de ma main s'offre au cul de l'insecte, imposant une convexité à l'air, créant perturbations et alertant alors l'insecte du danger imminent... hélas trop tard. Le choc, même s'il est moins violent qu'un choc frontal de deux objets de trajectoires opposées, provoque, pour peu que l'on fasse de l'anthropomorphisme, une équivalence de commotion cérébrale laissant à l'insecte quelques instants de vol avant l'ultime chute. Cette discipline, d'autant plus pour le coup par derrière, requiert une célérité non négligeable et j'espère, un jour peut-être, atteindre le niveau de Jean-Pierre Bacri dans Kennedy & Moi (qui est aussi ce à quoi j'aspire être dans les vingt années à venir). J'ai également lancé un programme d'extermination de masse intensive. Devant l'afflux perpétuel d'hexapodes (putain, ce mot existe puisqu'il n'est pas souligné en rouge par mon correcteur d'orthographe, pourtant je l'ai tapé au hasard), j'ai eu l'idée d'utiliser le gaz dans ma chambre. Ils rentrent tous naïvement en croyant prendre une douche, mais lorsque je ferme la porte de ma chambre à gaz, je scelle leur destin. Le Baygon vert en substitution du Zyklon B (couche d'ozone oblige), en caleçon, debout sur mon lit, triomphant, j'emplis sans discontinuer l'air du gaz mortel et me délecte de l'agonie simultanée de masse des insectes volants.

Je prends beaucoup de plaisir en été.

09 juin 2008

This is hardcore


Finalement, ce n’est pas si terrible que ça.

Avant je trouvais n’importe quelle excuse. Je scrutais les infirmières pour voir si une irait à ma place, si mon/ma co-externe n’était pas plus apte, plus proche, je faisais pression avec les yeux à l’élève infirmière pour qu’elle bouge son cul, je faisais le mec indisponible, non pas maintenant, je mimais une lecture intensive d’ECG, un scanner à aller négocier, une interprétation brumeuse de radio pulmonaire, je partais dossier à la main dans une chambre comme à la récolte d’une information capitale oubliée… J’essayais d’esquiver le truc comme je pouvais, parce que, putain, qu’est ce que je déteste répondre au téléphone ! Les gens appellent, souvent même. Mais jamais personne n’appelle pour parler à l’externe pour savoir s’il fait beau au 2ème sud, si son stage se déroule bien, si c’est pas trop dur de travailler plus de 50 heures par semaine à devoir se prendre la misère humaine parfois en plein dans la gueule avec des cours à taffer à côté pour un salaire de misère tandis que certains se font en un mois trois fois le salaire journalier d’un gigolo, juste en restant le cul sur une chaise à faire des dessins sur un ordinateur, ou encore si le dernier tonus était sympa ou que sais-je encore. Non, les gens appellent pour savoir « Comment qu’y va mon mari ? » C’est qui votre mari ? « Est-ce que je pourrai parler à Nadine ? » C’est qui Nadine ? « Tu peux me parler de M. X ? » C’est pas mon patient. « C’est la pharmacie, c’est pour avoir des infos sur le traitement de M. Y » Je vais chercher l’interne. « Bonjour c’est pour un avis » Je vais chercher l’interne (bis). « C’est pour avoir des nouvelles de machin » Je vais chercher l’infirmière qui s’en occupe. (À partir de là tu essayes de te souvenir dans quel secteur elle est, puis tu entres dans toutes les chambres où le témoin de présence est allumé, pour finalement te diriger vers la salle cafés & croissants qui aurait naturellement dû être le premier endroit où regarder (humour)). On appelle l’externe pour parler à tout le monde sauf à l'externe.

Mais il y a pire. Comme se retrouver dans un service avec un téléphone qui sonne.Un téléphone qui continue de sonner et personne qui ne te regarde l’air de dire « bon l’externe tu bouges ton cul et tu vas répondre ». C’est la troisième fois que je rentre dans un hôpital.

Alors ce soir, j’étais content de ré enfiler ma blouse de trois kilos (nb : penser à vider les poches), de répondre au téléphone, même. C’était une belle soirée. J’arrive un peu en avance alors j’en fume une devant l’entrée de l’hôpital. Le dimanche à l'hôpital c’est le jour des familles. C’est plein de sourires, de retrouvailles, de sentiments forts. L’hôpital le dimanche c’est un peu comme la sortie en famille dans le parc, sauf que là c’est les enfants qui poussent les parents, la poussette devenant fauteuil roulant. Des observations de routine et un patient à l’histoire émouvante. Même les forces de l’ordre semblaient dépitées d’être là, en permanence à côté de son lit. On voit mal ce détenu de 84 ans s’enfuir en toute facilité. Dîner sur la terrasse de l’internat, paumé dans cette verdure ensoleillée, appréciant la température de l’air, le vent, le soleil à une heure si tardive, appréciant l’ouest en somme (dans l’est il doit faire 30° plombés et nuit à 19 heures en ce moment, les cons). On fait avec la présence de la mort, présente sous la forme des patients pour qui rien n’a pu être fait, presque, le maximum en vérité, mais c’est souvent trop tard. A ce moment là un tas de choses flotte dans l'air, l'expérience fait qu'on s'y accommode.

Dans la voiture, quelqu’un a sorti The Argument de Fugazi. Strangelight. Et le soleil qui se couche sur la Loire quand on passe sur le pont de Cheviré.

The sun’s a strange light / nothing grows right anymore / scars on every stalk / whose mouth should i use to talk ?

Le périphérique est désert et on en a un peu rien à foutre des limitations de vitesse. Juste l’air de liberté qui s’engouffre par les vitres et la voix de Ian McKaye. Arrivés, nous fumons tous sur l’épaule du voisin, les yeux dans le vague, le corps plein d’une fatigue saine, le vécu sans la lourdeur, prenant conscience que c’était peut-être comme ça qu’on devrait apprécier la vie. Profiter des moments où nous sommes du bon côté du couloir, s’en immerger, se préparer au moment où l’on ne devra plus répondre au téléphone, où l’on ne devra plus examiner de patients, où l’on ne devra plus soigner… Au moment où.

Ce morceau est un véritable hymne comme on n’en fait plus depuis les années 90. Va savoir. Fugazi n’a pas eu le malheur de passer sur MTV, au contraire de RATM et de Radiohead. Au contraire de ces derniers Fugazi n’a jamais signé sur une major, comme ça ils n’ont pas eu besoin de faire leurs intéressants en prétextant vouloir couler les grosses maisons de disques. Pas de tralala sur un album en prix libre disponible sur Internet emmerdant ainsi le gros patron de la maison de disques (avec lequel ils avaient signé un juteux contrat) mais aussi tous les professionnels du disque (comme le petit disquaire en bas de chez toi par exemple) et engrangeant des bénéfices personnels jusque là inégalés. Si Fugazi avait eu cette démarche, personne ne les aurait jugés comme des pionniers en la matière, peut-être parce que Billy Corgan a fait pareil huit ans auparavant en sortant Machina II des Smashing Pumpkins sur Internet gratuitement. Les choses sont simples parfois.

Quand Fugazi est en concert, ce n’est pas pour faire un Bercy à plus de 50 euros avec un merchandising hors de prix. C’est 10 $ maximum la place sinon ils refusent de jouer. Quand on a la stature d’un groupe comme Radiohead, qu’on crie à qui veut bien l’entendre qu’on nique Bush, la société de consommation et l’exploitation du tiers monde, qu’on ne me fasse pas croire qu’on ne peut pas faire pression pour revoir à la baisse le prix des places de concerts ainsi que les t-shirts fabriqués par des mômes payés 1 $ de l’heure. Qu’on y joigne une attitude cohérente, intègre, le but est noble, dommage de n’en faire qu’une façade d’altermondialiste bankable.

En parlant de groupe intègre. Vendredi soir Shellac était à l’Olympic (tu connais pas Shellac ? c’est un groupe ils étaient number one). C’était parfait, tout y était : la puissance du son, l’énergie, la cohésion avec le public, la prestance scénique. J’avais Steve Albini (le producteur d’In Utero de Nirvana, de Yanqui UXO de GY!BE, de My father my king de Mogwaï, de Sufer Rosa des Pixies, mais encore Electrelane, Shannon Wright, Elysian Fields, …) d’une simplicité déconcertante devant moi et le public qui reprenait derrière moi les paroles de Prayer to God. A la fin du concert les membres du groupe sont restés au bord de la scène pour discuter, vendre eux-mêmes les t-shirts, échanger avec le public… j’étais heureux parce que j’avais la preuve que les réussites et l’âge n’altéraient pas forcément l’intégrité du musicien et de l’homme.

De toutes façons il n'y a rien de plus horrible que les grandes pattes, les boucs et les chemises col mao.

Come on over
Get your shoes on
Put your feet on baby
Come on over

02 juin 2008

Amnios


Encore la dualité du sec et de l’humide.

Le flux des pulsions internes que le fasciste cherche à canaliser, à endiguer. D’une structure trop peu aboutie pour contenir la marée viscérale, il s’appuie sur les institutions pour ériger son corps sec d’un débordement incontrôlé, d’une extériorisation non désirée, matérialisant dans la deuxième réalité ce que la première ne peut accepter. On peut se demander si les nazis n’étaient pas des psychotiques. Ce besoin d’être circonscrit dans le carcan de l’école, de l’autorité étatique, de la culture (le racisme n'était pas biologique mais culturel, comment supporter qu'un autre peuple soit le peuple élu ?), jusque dans l’uniforme, cintré, serré, propre, sans liberté. J’ai été surpris, en m’entretenant avec des patients psychotiques, de la force avec laquelle ils désiraient rentrer dans les clous de la société, avoir une vie conventionnelle (femme, enfants, emploi stable, …), eux qui sont tant en marge. C’est un besoin palliant la faiblesse du noyau, il faut investir sûr, il faut investir sur du dur, intangible, constant et sécurisant.

Comme ce jeune garçon au regard perdu, exprimant par son discours comment il avait soustrait à sa mère son rôle de parent pour le projeter sur son père adoré, qu’il n’a pas connu (cause décès) donc imaginé, idéalisé et immuable. La mère du psychotique est assujettie à l’erreur humaine et aux variations légitimes ce qui n’est pas supportable pour lui, lui qui a tant de difficultés à s’adapter. C’est donc pourquoi il déplace ce qu’il devrait attendre de l’humain sur des « objets » (souvenirs, drogues, …) dont les réponses seront prévisibles et fixes.

A se demander si les gens qui aspirent à une vie hors des normes ne sont pas ceux qui ont en eux la plus ennuyeuse des banalités. Il y a de ceux qui s’auto-flattent du plus grand des n’importes quoi, le Ricard à la main, parlant politique chez beau-papa le dimanche à quinze heures. Le coude levé à la rébellion du comptoir.

Amniotique. La beauté, anévrismale, de la femme qui fait autorité sur ses pulsions humorales, qui retient dans ses formes ses collections liquidiennes sur le point d’exploser. L’excitation est à son comble tant on se rapproche du point de rupture, là où l’opulence prenant aux tripes tendra à se déverser sur le sol, en vagues. Tabula rasa à la javel féminine. Retour à.