24 septembre 2008

La mia vita violenta


Ça sent l’Amérique.

Rouler fenêtres ouvertes, le vent, la nuit, autoradio volume : max – 2.
Calexico, Fugazi, Sonic Youth, Little Rabbits.
Périphérique désert, zone commerciale, néons aguicheurs des concessionnaires automobiles, temples de la consommation désertées mais illuminés à fleur de route, véritables sapins de noël posés sur mer d’huile solide. Feu rouge, passe-moi une cigarette honey, avec l’argent gagné aux chevaux elle s’est acheté une robe à paillettes, aussi vulgaire que son visage.

Des microfictions à la macroréalité. Sortie de ville, accélération, doigt d’honneur aux limitations, anyway j’ai l’airbag. Le volume sonore toujours plus fort et la moustache toujours plus longue, une histoire d’amour avec les reines de l’âge de pierre version french middle class : Davidoff, Seresta, Vicodine, Seroplex, Trivial Pursuit, Graffenwalder strong, oh.
Blind-test, parties de palet, de jambes en l’air et rires. Plus de bières que de mal.

Nuit au bord du lac, je te dis que l’étoile du nord c’est celle-là, réveil surréaliste, un cavalier échappé d’une reconstitution médiévale « bonsoir » « pédé » puis une femme du dernier Reich en date lançant des cris sur l‘eau, Belle, la chienne est désobéissante certains jours, paraît-il, femme sympathique malgré les apparences.

Avaler la route encore, l’asphalte comme oxygène, le bras à travers la vitre, yeah, variations dans la cinétique du temps. Cholet – Trementines, Trementines – Nantes, Nantes – Saint-Nazaire, concert de Sonic Youth depuis la passerelle du Queen Mary II. « C’était pas Jim O’Rourke à qui je viens de serrer la main ? ». Alpha Blondy ? je dis lol, permis de revendre nos entrées à des mecs qui n’ont aucun goût.

Puis concert & concert. Je rencontre un bel italien, chanteur d’opéra, portant la calvitie comme Jean-Marc Barr, on parle Pasolini, Fellini, Buzzati, Baricco, … l’homme de ma vie, sur le coup j’ai un peu honte des autres personnes avec qui je passe la soirée, le genre à roter puis à dire gofiot, ou pire, faire du world of warcraft … Il me propose de revenir faire des lasagnes dans mon four, je me rappelle que je ne suis pas homosexuel, à ce jour j’attends toujours qu’il m’enfourne sa garniture.

Retour sur les terres maudites, je dégomme un chat sur la route, réveil de Clarisse en sursaut elle veut voir, ça ne lui suffisait pas d’avoir failli provoquer un accident l’enfoiré miaule d’une complainte si déchirante que je n’en entends presque plus l’autoradio, pire que la fois où j’ai roulé sur un gothique. Dans ma grande mansuétude j’abrège ses souffrances avec le Smith & Weston qui attendait dans le coffre de pouvoir servir un jour.

Je manque de me noyer en m’endormant dans mon bain, je repense à Anna Mouglalis qui me fait la gueule parce que j’ai oublié de répondre à son sms.
« do you wanna see ? i don’t know i spend my all time in the water »

Intégrale de twin peaks, ma moustache me sied à ravir, les gens me regardent différemment, à Carrefour les jeunes filles (en fleurs) me montrent du doigt depuis leurs cinq années, m’en fous, parce qu’Antonio Lobo Antunes. « Vous avez la carte de fidélité ? » « Hélas non ».

Deux potes font du camping, nuit dans la tente, réveil brutal de l’un, agité dans tous les sens, la tente qui manque de s’envoler. Demande à son voisin :
« Putain mais qu’est-ce que tu fous ?
_ Bein je m’branle …
_ T’es sympa mais la prochaine fois tu prends la tienne ! »

4h00, l'éternel retour, la faim, passage au drive-in, dieu bénisse l’Amérique, retour à la maison, les nouvelles filles d’à coté, sens du timing et manger ses frites en regardant Karen Cheryl. Phase de sommeil dans canapé, réveils récurrents par femmes obséquieuse aux propositions réprouvées par morale judéo-chrétienne moyennant finance via sms surtaxé.

Rentrée à Nantes : nouveau stage, le rêve de l’externe : Dossiers informatiques, ordinateurs de travail, courriers, comptes-rendus numérisés, bilan biologiques faits la veille pour le jour même, imagerie classées, annotées, labellisées, consultables sur logiciel simple d’utilisation, pas de tâches de secrétaire médicale à faire, planning de la semaine tenu à jour, café et friandises deux fois moins chers que dans le reste de l’hôpital. Dommage qu’on s’y fasse autant chier ! (et qu’il y ait si peu à apprendre)




Et j’ai accueilli mes 23 ans comme une veille tante à qui l’on offre le thé avant de la foutre à la porte, laissant apparaître le Luger hérité du grand-père germain comme preuve du sérieux de la situation.


09 septembre 2008

Souvenirs souvenirs ...


Le souvenir dormait. Ma mémoire est un bordel.
Comme ma grand-mère j’ai un syndrome de Diogène, je suis syllogomane de la mémoire, j’entasse j’entasse sans jamais ranger. On ne sait jamais, ça pourrait servir, la mémoire du passé quand l’histoire se répète.


Juillet 1991, je crois. Presque six ans.
Comme à l’habitude mes demi-sœurs sont en vacances à la maison, elle est pleine ce qui contraste avec les périodes scolaires où il n’y a que ma mère et moi, et mon père entre vingt heure et huit heure le lendemain matin. Curieusement je n’ai de souvenirs de la vie à la maison que pendant ces périodes de vacances.
Milieu d’après-midi, je sors de la cuisine avec mon goûter, sur la terrasse, à l’ombre du soleil ma sœur de vingt ans rase la tête de mon père. Je pose la question « je me fais une nouvelle coupe ». Je suis tenu au secret. Bien sûr il y a les hospitalisations, les visites dans cet immense hôpital où l’on doit faire une heure de route pour y aller, les moments de fatigue, les séjours en chambre stérile mais en vérité je ne sais rien, je ne fais pas le lien. Il en est à sa énième chimiothérapie, sa leucémie l’emportera dans douze mois. En vacances à l’île de Ré. J’ai toujours aimé être avec des personnes plus âgées, mes sœurs, mon frère, l’impression que grâce à ça je pourrai rattraper les moments que je n’ai pas pu partager faute de temps, faute de jeunesse.


Aout 2008. Presque vingt-trois ans, le même soleil, la même chaleur.
Je travaille maintenant dans l’immense hôpital, sauf ce jour. C’est l’anniversaire de ma mère, un peu pris au dépourvu je n’ai rien d’autre à lui offrir qu’un bouquet de fleurs acheté sur la route. Dans la maison désormais vide je la trouve à dormir dans son lit. Lorsqu’elle me demande si j’ai mon rasoir électrique avec moi le souvenir se réveille. Aujourd’hui je sais tout, dans trois jours elle aura sa troisième cure de chimiothérapie, je suis de toutes les hospitalisations, de tous les examens complémentaires, aucun symptôme ne m’échappe, je n’ai plus l’excuse de l’âge. Je ne sais pas vraiment comment raser une tête, et encore moins celle de ma mère. « n’essaye même pas de ma faire un dessin sur le crâne » Je passe par bandes du front jusqu’à la nuque, au final le résultat voulu est au rendez-vous. On se redresse tous les deux, je lui enlève la serviette que je lui avais mise sur les épaules comme chez le coiffeur, elle se frotte la tête comme un enfant qui a mis la tête dans le sable. Le regard absent, je la prends dans mes bras, je suis fasciné par le fait que l’on continue à vivre alors que les temps bénis sont bel et bien derrière nous, je trouve qu’il n’y a rien de plus beau que quelqu’un qui reste debout sans raison, à résister pour aucune cause, aucune justification si ce n’est celle d’exister.

Je ramasse les mèches éparses de la terrasse jusqu’au jardin. Certaines avec le vent me tombent des mains où glissent entre mes doigts. Dans le creux de la paume, je l’ai. Plus que les gênes, plus que l’éducation, plus que le goût de la médecine, de par ces mèches de cheveux que je viens de couper j’ai mon patrimoine entre les mains.
Et je me sens fils plus que jamais.