15 décembre 2007

Esprit libre, esprit scientifique

Monsieur E = m.c²

Quand j’étais petit (à 16 ans) je ne savais pas quoi faire de ma vie, j’étais en terminale et il fallait bien que je me décide. L’échéance baccalauréante (ce mot n’existe pas et c’est bien dommage) approchant ma mère me fit passer des tests psychologiques pour avoir une idée, déjà, de la case de l’éducation nationale dans laquelle on pouvait me mettre (au chaud). Il en sortit que j’étais « un vrai scientifique » « à ne surtout pas mettre dans un bureau routinier », la première assertion me surprit du fait, qu’au contraire de mes relations socialement codifiées de classe, j’avais d’autres lectures que geekzine et warhammermag et d’autres intérêts que les derniers mises à jour de Windows Me. Mal en S, je ne pouvais pas aller en L à cause des nombreuses heures de français qui induisaient chez moi des migraines (nausée, photophobie, hemi-paralysie du visage…) et trouver un quelconque intérêt pour une série qui comportait le mot économique et où les mathématiques étaient déshabillés de toute leur poésie me paraissait une vaste farce.



Sur le plan du développement personnel, avoir l’esprit scientifique c’est avoir la maladie du pourquoi, qu’une question en appelle (de son sein) toujours une autre, que juché d’un pied sur la frêle échasse de sa connaissance l’on contemple l’immensité semblant s’étendre à l’infini de notre ignorance. A chaque trémulation de la ligne de base, guettant la chute, il se produit une danse d’ivresse et les bouches de l’esprit et de l’ignorance se rapprochent … jusqu’à l’effleurement, que l’air compris entre les quatre dents du bonheur serve tour à tour d’oxygène vital aux entités en présence. Les yeux sont contemplatifs, comme chez Gus Van Sant, parce que ce n’est pas parce que je ne vois rien qu’il n’y a rien à voir. Cet exercice d’abstraction de ses propres sensibilités auquel l’esprit doit s’exercer [me semble] est l’aboutissement ultime de l’évolution humaine. Quoi de plus farfelu et poussé que de chercher à raisonner dans un systèmeoù les interrogations sont des contestations à l'ordre fragile-établi et dont nous n’éprouvons pas la connaissance sensible au quotidien ?


Sur le plan relationnel, c’est une catastrophe.






… this must be underwater love.

Katerine - cervelle de singe

Mon père est un autobus impérial
Ma mère est une bouteille d'eau minérale
Mon frère est une pharmacie de nuit
Ma soeur est une symphonie
Moi je suis une rue à sens unique
Aux maisons construites à l'identique
Habitées par des femmes à moitié nues
Qui ne veulent pas êtres vues

Mais toi
Qui es-tu pour me décapiter
Mais toi qui es-tu pour m'écarteler
Avec les chevaux du ciel aux poignets
ahahahahahahahahahaaaah
ahahahahahahahahahaaaah
ahahahahahaaah

On se retrouvera en enfer
Mais c'est moi qui serai Lucifer
Ton père est un intestin déroulé
Ta mère est un cerveau carbonisé
Ton frère est un ventricule en charpie
Ta soeur est une maladie
ahahahahahahahaahaaaaah
ahahaahahahahahahaaaaah
ahahaahaahaaaaah
ahahahahahahahahaaaaaah
ahahahahahahahahaaaaaah
ahahahahaaaah

(on se croirait sur skybklog ici)

Mettre à disposition les paroles incite-t-il le bon peuple à écouter la bonne musique ?


09 décembre 2007

Lève la tête, tiens-toi droit.



Dix-neuf heures à l’hôpital, c’est l’heure que je déteste. L’heure où j’aimerais bien m’être déjà barré ou, tout du moins, être sur le point de le faire. L’heure où l’air est lourd dans la salle de soins, j’ai l’impression de porter tous les malades des étages supérieurs sur les épaules, du deuxième je suis l’Atlas de l’hôpital, je supporte la pneumo, la cancero, la neurochirurgie, la chirurgie plastique (bon ça c’est encore supportable) la médecine interne et l’ORL.

J’ai encore 45 minutes à une heure de transports en communs à me taper et il me reste un patient à voir. Je crains le pire, le plan foireux, le dossier médical réparti en trois dossiers, l’histoire de la maladie plus complexe qu’un Lynch ou encore la maladie ultra rare qu’évidemment je ne connais pas.

Bon, j’ai été trop pessimiste : le dossier est fin et propre donc récent. J’ouvre, c’est un médecin, un ancien psy, ça va, un médecin ça veut dire que l’interrogatoire ne va pas être trop difficile, qu’il soit à la retraite signifie qu’il ne va pas être trop chiant, pointer son doigt sur des lacunes qu’il pourrait dépister chez moi. Alors j’y vais sans lire le reste du dossier, l’interrogatoire avec ma bite et mon stylo.

Il est seul dans sa chambre, coté fenêtre, assis sur la chaise visiteur le coude contre la vitre, la tête portée par la paume de sa main, il regarde à l’extérieur… autant dire dans le vide. Vide, son regard est par moment vide, absent. A cette heure là, les patients s’abrutissent généralement devant la roue de la fortune ou le grand journal, lui non. Il y a un livre posé sur la table mais je pressens qu’il est insomniaque, qu’il le commencera vers 22 heures et qu’il sera toujours dessus à 3 heures du matin. Il est négligé élégant, toujours bel homme mais le départ de sa vitalité est perceptible, dandy usé, jusqu’à la corde. Les présentations sont classiques bonsoir je suis l’externe, bonsoir je suis le malade, ….

« _ Dites-moi pourquoi vous êtes hospitalisé monsieur ?
_ Je suis insuffisant cardiaque.
_ C’est votre cardiologue qui vous adresse ici ? (surpris, je suis en rythmo, il est insuffisant, il y a une faiblesse dans la logique)
_ Non, en vérité ma femme m’a quitté parce que je ne savais pas ouvrir mon cœur, je ne lui fournissais pas assez en bonnes émotions, mon cœur n’expulsait pas assez en quelques sortes, pour ça que je dis insuffisant. Vous savez, il y a les incontinents, ceux qui ne peuvent retenir leurs émotions et les insuffisants, ceux qui ne peuvent les exprimer. Insuffisant cardiaque est une belle métaphore, je trouve. En vérité (me regardant vraiment pour la première fois) j’ai un trouble du rythme, un bloc auriculo-ventriculaire de type II – Mobitz I… symptomatique, des syncopes …mais je ne sais pas si ça a un rapport, les pertes de connaissance ont commencés quand ma fe… (cette fois il se détourne totalement de la fenêtre et me fait face, le dialogue commence) … pardon mon ex-femme m’a quitté. D’une façon comme d’une autre je suis handicapé du cœur.»

Le contact passe, malgré tout, il a l’air de s’en foutre d’être ici, d’être malade. Il a parfois l’impression d’avoir un abdomen et un thorax vide, un esprit muré dans un corps trop vide et trop grand. Il n’a pas peur de la mort, sans la provoquer il la désire. La lassitude des week-ends de célibataires devant un écran à enchaîner un Mocky un porno jusqu’au Lundi matin. Un mocky un porno. Mocky-porno-mocky-porno-mocky-porno-mocky-porno-mocky-porno-morny-porko… l’apanage du célibataire en RTT, jusqu’à ce que la prostatite ou la tendinite s’en suive, c’est à qui faiblira en premier, jusqu’à ne plus savoir si l’on regarde un mocky ou un porno, jusqu’à ne plus savoir si’ l’on pleure où l’on éjacule. Je n’ai jamais compris les éjaculations faciales (si ce n’est l’aspect humiliation et tout ce bordel) voir son sperme renvoie à une pathétique image de soi, voilà pourquoi les hommes ont toujours cherché à le cacher, à l’enfouir, qu’on ne puisse jamais le retrouver.

Il a peur de perdre la mémoire aussi. Ce n’est pas la perte qui l’effraie, c’est de ne pas savoir ce qui partira en premier. Le souvenir d’avoir aimé comme il l’a fait ou le goût amer de la déception. Le bonheur ou la tristesse. Amnésie sélective, c’est le doute qui angoisse.

« Au moins il fait chaud, ici, avoir froid et rechercher une chaleur organique absente, rien de pire… » Sur ses mots nous nous quittons, pour la journée, pour le week-end aussi.

Je complète mon observation avec son dossier, du lexomil dans son traitement n’a rien de surprenant. Je le sais, ça calme le mal de cœur, quand il s’est fait prescrire ça il devait avoir des images de sa fe… pardon son ex-femme pénétrée par des pénis qui n’étaient pas le sien, elle devait aimer ça, à coups sûrs, elle devait haleter en demandant encore. Des hommes vulgaires, lui l’avait aimée mais ça n’était pas suffisant alors ça n’a rien de surprenant. Le lexomil ça calme les douleurs de type angine de poitrine sur coronaires saines.

Je sors avec de la compassion pour cet homme, j’ai sauté la barrière de l’empathie professionnellement définie. Je sors avec le sourire aussi, Sufjan Stevens y est peut-être pour quelque chose. Sortir, rencontrer des gens, peut-être intéressants, on ne sait jamais. Ca me donne le sourire même si cette soirée s’achèvera d’une façon (à la probabilité élevée) tout à fait banale, j’espère juste être assez usé physiquement pour ne pas avoir la force de regarder un Mocky.

Il ne faut jamais lire Schopenhauer quand on est heureux, encore moins avant l’amour au téléphone. Le cas échéant, envoyer des fleurs.



Girls in HawaiiJoking about my life [Chez Lenoir, s’il vous plaît]

Cette chanson me tue.


PS : Ségolène Royal publie un livre Ma plus belle histoire c’est vous. Les derniers mots sont « Je ne sais pas où et quand mais nous nous rencontrerons à nouveau ». On a de la chance quand même, de ne pas avoir élu la présidente Marc Lévy. De la niaiserie en barre, rien de plus.

UMP : Les déçus de Sarkozy se font déjà entendre, c’est bien marrant, je le disais depuis le début, rien ne changera, cet homme n’est que le Mitterrand de 2007, une vaste esbroufe qui en laissera plus d’un sur le carreau.

Finalement, le 6 mai, le seul vote humainement supportable était bel et bien le vote blanc. Ca aussi, ça me fait sourire.


Et bam, en vidéo en plus :


04 décembre 2007

Electricité et jardinage humain


Le rituel avait pourtant été le même que d’habitude. Dans le vestiaire exigu j’avais enfilé le pyjama vert turquoise, mis le bonnet rectangulaire et commencé à nouer les lanières de mon masque effaçant toute la partie inférieure de mon visage, derrière mes oreilles. Un coup d’œil dans le miroir : il ne restait plus que les yeux : j’étais prêt. Le sas passé j’ai pénétré dans la grande salle, comme je l’ai déjà fait de nombreuses fois auparavant. A intervalles réguliers je passais devant chaque salle d’opération. Ici un homme se faisait enlever un poumon, là son sang était aspiré par une machine, oxygéné et finalement recraché, réinjecté dans son corps, je connaissais ça… je savais que son coeur ne battait plus, qu’une potion magique l’avait paralysé, que tous ces tuyaux de plastiques et ces cylindres se substituaient à son métronome interne, à son organe le plus animal, à celui dont le nom est par trop souvent galvaudé ; je savais aussi qu’une fois son jardinage humain terminé, le chirurgien invoquerait discrètement le grand horloger pour que l’anesthésiste n’écorche pas la formule magique pour faire repartir son cœur.

Je me sentais bien dans cette salle, la lumière est très blanche, toutes les couleurs sont claires et très lumineuses, il n’y a aucune aspérité à laquelle s’accrocher, aucune trace d’humanité, de vie, tout est parfait trop parfait. Pour rendre les services un peu humains on eut la bonne idée d’accrocher de-ci de-là un poster de Monet ou encore de laisser un peu de bordel, ici non. Ici les seuls relents d’humanité qui ont été conservés sont les regards, minimalisme, toute autre forme de vie doit être éradiquée parce qu’ici, plus qu’ailleurs, pas le droit à l’erreur. Jusque dans l’odeur de désinfectant la stérilité se fait sentir. Chaque sens est dans le déni de la vie. Je me sens bien dans cette salle.

On m’attend salle 4. Je reconnais les gens, les yeux. Finalement, dans la vie, on n’a besoin que des yeux. Le reste est inutile, de la fioriture, des roues de secours pour les incontinents de l’oculaire. Le regard est le miroir de l’âme. Je connais un fantôme qui peut marcher à travers les murs et un chamane qui peut lire l’âme des gens grâce au langage du regard.

Jusqu’ici le rituel n’avait toujours pas changé. L’homme est allongé, nu, au centre de la salle : l’humain au milieu des hommes verts. La procédure était simple, je l’expliquais à mes deuxièmes années : « Le but est d’envoyer une telle source d’électricité, une telle puissance, au cœur qu’il s’en retrouvera totalement dépolarisé, il repartira alors comme au début, il battra d’un bloc, comme il faut, pas à gauche-à droite de façon anarchique, non, bien en cadence, réglé comme du papier à musique, c’est la moindre des choses que l’on puisse souhaiter à un homme : que son cœur batte en accord avec la partition de sa vie. On restaure les paramètres d’usines quoi. »

Les yeux bleus de mon interne se dirigent vers moi. « Tu veux ? » me tendant les palettes du défibrillateur.

« Ouais ? ouais. »

« C’est simple, c’est un bi phasique donc en vérité y a 300 kilojoules, tu touches pas le chariot sinon tu vas te retrouver propulsé sur le mur d’en face, tu fais gaffe quand tu vas décharger le corps va se soulever, tu ne te décolles pas sinon il va y avoir un arc électrique entre la palette et la peau et ça va cramer la peau… surtout avec le psoriasis ça sera pas super.» Ok. Je retiens tout ce qu’elle dit, ça va.

Les anesthésistes sont des menteurs, à partir de dix on ne dépasse rarement les six-cinq, l’homme ne fait pas exception. Il ronfle, j’appose les palettes à sa peau, entourant le cœur.

L’appareil se charge, je me colle, je vérifie une dernière fois, j’envoie. Il décolle bien, pas exceptionnel mais bien, je sens son corps se soulever sous mes mains tandis que je lui envoie 300 kJoules en plein dans le palpitant.

/Reset.

/Please wait…

/…

Les yeux se fixent sur le scope, son cœur parle sous forme de lignes électriques. On veut juste que son cœur nous parle d’une certaine façon, bien codifiée, bien sequencée. On attend…

/…

« Sinusal »

C’est bon.

/Defaults settings restaured


Et puis on repart, comme on est entré. Ici ça n’a rien d’exceptionnel, le pain quotidien. Philip Roth a raison, quelle est l’utilité du surréalisme quand on évolue dans ce milieu ?


02 décembre 2007

Nous baisions comme des esquimaux


Philip Roth est américain.
Philip Roth est écrivain.
Philip Roth est juif.
Philip Roth n'aime pas Woody Allen.

Cela fait déjà quatre bonnes raisons d'aimer Philip Roth. Cet article aurait pu s'appeler "Philip Roth et moi" ou encore "La bite de Philip Roth" mais cette dénomination de chapitre fut déjà utilisée par Yann Moix dans son livre Partouz. A la différence de Yann Moix, j'écris de mieux en mieux et je ne suis pas un obsédé sexuel. (bon, en vérité si mais il ne faut pas que mon lecteur s'en doute, il doit me croire singulier, différent des autres soit honnête et non-obsédé). Il n'y a pas de lien entre le titre et le contenu, la dualité signifiant-signifié est un rendez-vous manqué. Ou pas. Ouvrir le champ des possibles, vois-y ce que tu y cherches.

"Il entra un mercredi matin de bonne heure, pour se faire opérer de l'artère carotide droite. Le cérémonial avait été exactement le même que pour l'opération de la carotide gauche. Il attendit dans l'antichambre vitrée, avec tous les candidats à l'intervention, l'appel de son nom. Et dans sa chemise d'hôpital impalpable, ses pantoufles en papier, il fut conduit par une infirmière en salle d'opération. Cette fois quand l'anesthésiste masqué lui demanda s'il voulait une anesthésie locale ou générale, il demanda la générale, pour rendre cette intervention plus supportable que la précédente.

Les paroles prononcées par les os l'avaient rendu allègre, insubmersible. De même que son triomphe de haute lutte sur son propre marasme. Plus rien ne pourrait éteindre la vitalité de ce gamin dont le corps-torpille fuselé, immaculé, avait jadis chevauché les grosses vagues atlantiques, dans l'océan déchaîné, à cent mètres des grèves. Oh, quelle ivresse ! l'odeur de l'eau salée, la brûlure du soleil ! La lumière du jour, la lumière qui pénétrait partout, jour après jour d'été, la lumière du jour, brasillant sur la mer vivante, trésor optique si vaste, d'une valeur si astronomique, qu'il croyait voir sous la loupe de son père, gravée à ses initiales, la planète elle-même, parfaite, précieuse, sa demeure, ce joyau d'un million, d'un billion, d'un trillion de carats, la Terre ! Il coula sans venir voir le coup, sans jamais pressentir l'issue, avide au contraire de s'assouvir encore, mais il ne se réveilla pas. Arrêt cardiaque. Il n'était plus. Affranchi de l'être, entré dans le nulle part, sans même en avoir conscience. Comme il le craignait depuis le début."

Dans la rubrique je suis un bâtard et je dévoile la fin des livres voici la fin du dernier Roth - Un homme. Ca n'a pas d'importance, la fin est l'amorce du début et l'histoire est banale : celle d'un homme dont l'on suit la vie via les expériences communes à tous : la maladie, la mort. Ce qui compte c'est le traitement, le style, se laisser porter par les mots, ceux qui soulèvent à quelques centimètres du sol et qui transportent ailleurs, d'un seul tenant jusqu'à la séparation d'avec la voix du livre. Comme l'Etranger de Camus ou un livre de Laurent Graff. Et puis. Marre des bouquins sans renouvellement de style avec des messages du style "la tv c'est le mal" (ah bon ? et si la tv ne servait au bon peuple que ce qu'il demande, et si l'on acceptait de voir que ce n'est que le symptôme et non l'étiologie) "bush est con et sarko aussi" (vraiment ?) "la guerre c'est moche" (ça depend du point de vue) "la société de consommation ultra-capitaliste dans laquelle nous évoluons est génératrice de frustrations dégradant ainsi les rapports inter-humains censés nous élever spirituellement et socialement favorisant le développement personnel de chacun tandis que chez les animaux tout est amour (j'ai envie de dire triple lol). Faciles, éculées, chiantes. Bref toutes les thématiques présentes lors de cette soirée avec étudiants dans laquelle j'ai regretté de ne pas avoir amené un bouquin. Céline... ouais. Au coin du feu... Voyage au bout de la nuit. Putain... quel coup de génie cela aurait été, quelle provocation : snober ces faux-socialistes en lisant le plus grand auteur de tous les temps dans mon coin, un auteur de droite et arborant un antisémitisme dominical de surcroît. Au lieu de ça j'ai entendu les truismes d'une génération incohérente et toujours adolescente à 22 ans, en guerre contre le système mais pas contre la mairie socialiste de Nantes. (pour avoir vécu dans une ville UMP je ne vois pas trop la différence, ah si : la mairie socialiste de Nantes a augmenté ma taxe d'habitation de 30 %, triple :-/ ) J'ai voulu me barrer mais ça a parlé d'amour. Je me sentais mal à l'aise mais je pressentais que des phrases cultes pouvaient facilement émerger dans cette situation. Le plus beau geste d'amour... Je n'allais pas répondre avec un témoignage personnel, alors j'ai devié vers l'amour de type mère-enfant, j'ai cité le sextuple infanticide de Martha Goebbels. Les gens n'ont pas compris, c'est compréhensible, ce qui l'est moins c'est de ne pas chercher à. (je comprends que l'on puisse être étonné, j'étais tout enclin à m'expliquer) Ils ne devaient sûrement pas encadrer les nazis voire plus simplement les racistes. Pour moi c'est pareil, les racistes et les arabes, tout ça me sort par les yeux. Silence. Les red hot chili peppers alors je me suis barré sec. Il y a des fautes de goût que je pardonne mais ça non, non vraiment pas. Je me dis que j'ai encore pu échapper à Elodie Frégé ou olivia ruiz, on sait jamais. ON SAIT JAMAIS.

J'ai remonté la rue de Strasbourg avec la nocturne n°2 de Chopin en mi bémol majeur dans mon ipod micro. Je me sentais déjà mieux, les voitures descendant la rue au milieu de la nuit sont des cygnes lumineux glissant sur une eau noire, les gens ivres des danseuses agiles et les lumières urbaines des étoiles de douceur depuis trop longtemps disparues. En ce moment privilégié ma marche se cadence au piano, automatique, elle répond à la musique, je n'ai plus de volonté sur elle.

Il a bien fallu que cela s'achève, comme tout finalement.

J'enlève les écouteurs, la porte de l'immeuble claque violemment dans mon dos, l'appartement jaune est vide et sa lumière bien trop artificielle, la rue retrouve son vrai visage porteur d'ivrognes titubants hurlants à l'ivresse et de bruits de bouteilles cassées, je perçois la rue à travers ma fenêtre et ça ne me plaît pas. Puisque nous est mort je préfère m'isoler dans une illusion. Je voulais retrouver les salauds de Philip, ceux qui trompent leurs femmes à tour de bras mais qui pour garder la face aux yeux de leur fille, épousent des mannequins écervelées sans intérêts juste parce que c'est avec elles qu'ils se sont fait baisés et qu'avec un peu de chance ça passera pour de l'amour (et donc quelque chose de sérieux) et non pas un coup, dans un vagin, dans le vent (alors que c'est justement ça). Ils ont quelque chose d'attachants eux, il y en a non mais eux oui.

"La jalousie, ce poison. Et sans provocation, encore. Jaloux même quand elle me disait qu'elle allait à la patinoire avec son frère de de dix-huit ans. Est-ce que c'est lui qui me la volera ? Dans ces liaisons qui tournent à l'obsession, tu n'as plus ton assurance habituelle, surtout quand tu es en plein dans le cyclone, et que la fille a le tiers de ton âge. J'ai des inquiétudes quand je lui téléphone, tous les jours, et des inquiétudes après qu'on a raccroché. Par le passé, les femmes qui exigeaient des des appels quotidiens, des échanges de coups de fils, je m'en débarrassais systématiquement - et voilà que c'est moi qui exige d'elle ma dose quotidienne de téléphone, sinon je suis en manque. Pourquoi est-ce que je l'encense au fil des conversations ? Pourquoi je n'arrête pas de lui chanter combien elle est parfaite ? Pourquoi j'ai toujours l'impression d'avoir dit ce qu'il ne fallait pas ? Je suis incapable de me faire une idée de ce qu'elle pense de moi, de ce qu'elle pense de tout, et mon désarroi me pousse à dire des choses qui sonnent faux ou qui me paraissent excessives à moi-même, si bien que je raccroche plein d'une rancune muette envers elle. Mais quand, chose rare, je réussis à passer une journée sans l'appeler, sans lui parler, sans la flatter, sans sonner faux, sans lui en vouloir de ce qu'elle me fait subir en toute ignorance de cause, c'est pire. Je me lance dans une activité fébrile et rien de ce que je fais ne m'apaise. Je n'ai pas le sentiment d'avoir auprès d'elle l'autorité nécessaire à mon équilibre, et pourtant, c'est de l'autorité qu'elle me trouve."

Philip Roth, La bête qui meurt. Comme chez Buzzati, la psychologie masculine est finement mise à jour, dans toute sa faiblesse. Ca sent plus que le vécu et on a de l'amour envers ce frère d'armes, parce que c'est pareil à la maison - différence d'âge mise à part et la saloperie aussi. J'ai voulu être intègre, quelqu'un de bien qui ne triche pas, c'était peut-être une erreur. Je ne vois même pas de quoi je me plains, je suis le premier à clamer que la recherche de justice dès que l'on sort d'un système purement social est ridicule. J'ai toujours légitimé les salauds, j'ai fait l'erreur de plaider une cause qui n'était pas la mienne. Il n'y a plus de sens, il n' y a jamais eu de sens, cela n'a aucune importance. Je me détache de plus en plus de la réalité.