09 septembre 2008

Souvenirs souvenirs ...


Le souvenir dormait. Ma mémoire est un bordel.
Comme ma grand-mère j’ai un syndrome de Diogène, je suis syllogomane de la mémoire, j’entasse j’entasse sans jamais ranger. On ne sait jamais, ça pourrait servir, la mémoire du passé quand l’histoire se répète.


Juillet 1991, je crois. Presque six ans.
Comme à l’habitude mes demi-sœurs sont en vacances à la maison, elle est pleine ce qui contraste avec les périodes scolaires où il n’y a que ma mère et moi, et mon père entre vingt heure et huit heure le lendemain matin. Curieusement je n’ai de souvenirs de la vie à la maison que pendant ces périodes de vacances.
Milieu d’après-midi, je sors de la cuisine avec mon goûter, sur la terrasse, à l’ombre du soleil ma sœur de vingt ans rase la tête de mon père. Je pose la question « je me fais une nouvelle coupe ». Je suis tenu au secret. Bien sûr il y a les hospitalisations, les visites dans cet immense hôpital où l’on doit faire une heure de route pour y aller, les moments de fatigue, les séjours en chambre stérile mais en vérité je ne sais rien, je ne fais pas le lien. Il en est à sa énième chimiothérapie, sa leucémie l’emportera dans douze mois. En vacances à l’île de Ré. J’ai toujours aimé être avec des personnes plus âgées, mes sœurs, mon frère, l’impression que grâce à ça je pourrai rattraper les moments que je n’ai pas pu partager faute de temps, faute de jeunesse.


Aout 2008. Presque vingt-trois ans, le même soleil, la même chaleur.
Je travaille maintenant dans l’immense hôpital, sauf ce jour. C’est l’anniversaire de ma mère, un peu pris au dépourvu je n’ai rien d’autre à lui offrir qu’un bouquet de fleurs acheté sur la route. Dans la maison désormais vide je la trouve à dormir dans son lit. Lorsqu’elle me demande si j’ai mon rasoir électrique avec moi le souvenir se réveille. Aujourd’hui je sais tout, dans trois jours elle aura sa troisième cure de chimiothérapie, je suis de toutes les hospitalisations, de tous les examens complémentaires, aucun symptôme ne m’échappe, je n’ai plus l’excuse de l’âge. Je ne sais pas vraiment comment raser une tête, et encore moins celle de ma mère. « n’essaye même pas de ma faire un dessin sur le crâne » Je passe par bandes du front jusqu’à la nuque, au final le résultat voulu est au rendez-vous. On se redresse tous les deux, je lui enlève la serviette que je lui avais mise sur les épaules comme chez le coiffeur, elle se frotte la tête comme un enfant qui a mis la tête dans le sable. Le regard absent, je la prends dans mes bras, je suis fasciné par le fait que l’on continue à vivre alors que les temps bénis sont bel et bien derrière nous, je trouve qu’il n’y a rien de plus beau que quelqu’un qui reste debout sans raison, à résister pour aucune cause, aucune justification si ce n’est celle d’exister.

Je ramasse les mèches éparses de la terrasse jusqu’au jardin. Certaines avec le vent me tombent des mains où glissent entre mes doigts. Dans le creux de la paume, je l’ai. Plus que les gênes, plus que l’éducation, plus que le goût de la médecine, de par ces mèches de cheveux que je viens de couper j’ai mon patrimoine entre les mains.
Et je me sens fils plus que jamais.





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