09 octobre 2008

Microfictif

Mon acné rétentionnelle contre son strabisme convergent. Notre couple se devait d’être construit sur une égalité quasi parfaite, du moins sur les aspects visibles. De prime abord aucun d’entre nous ne pouvait prendre un ascendant sur l’autre, c’était une règle d’or et j’y tenais autant qu’à ma collection de carte Magic. La formalité de l’égalité physique réglée la machine était lancée.
Bonjour je m’appelle Jean-Donatien Guebwiller, trente-quatre ans, marié, deux enfants et je porte à gauche.
_ Mais appelez-moi Jean-Do.
Je suis graphiste, ce qui consiste à donner une identité graphique à des objets qui n’en ont pas. Moyennant finances bien entendu. En réalité l’identité graphique est une vaste foutaise, convenons-en, mon métier consiste par un jeu de couleurs et de logos à faire croire au peuple consommateur que boire de l’eau est autrement plus épanouissant que de boire du vin ou même un soda. Etant affilié au domaine de la publicité, l ‘important est de faire croire, de faire naître l’envie par une vision non contractuelle. Si la publicité est la relève du plus vieux métier du monde, mon rôle dans ce système est l’équivalent d’un habilleur pour prostituée.
Ma femme et moi jouissons d’une place très honorable parmi notre cercle d’amis, nous suscitons une sorte d’admiration chez eux. Même si au départ cela était non volontaire, nous y avons pris goût et avons creusé le sillon. Nous organisions des dîners pour leur montrer ô combien nous avions meilleur goût qu’eux pour la décoration d’intérieur, ils nous enviaient depuis leurs logements exigus que leurs salaires de caissière chez Cora ou d’intérimaires leurs permettaient tout juste de payer. Bon samaritains, nous les accueillons toujours avec le sourire et toujours prêts à les écouter puis à nous épancher sur notre vie sexuelle, les boîtes à partouze pour qu’ils sachent à quel point nous sommes libérés des restrictions de la morale judéo-chrétienne. Cependant une autre règle d’or que nous nous étions imposés était de ne pas pratiquer avec eux.
_ Don’t fuck with friends.
Quand bien même ils nous avaient déjà vu nus, par le biais de photographies artistiques, nous nous devions de rester pour eux, du domaine du fantasme donc inaccessibles. Je n’ai jamais été infidèle. Ma femme, oui, une fois. Un pianiste officiant alors pour une gagnante de télé crochet, cela semblait l’occasion rêvée pour elle de lancer sa petite carrière dans la chanson sucrée. Hélas pour elle cela n’a rien donné. J’étais déçu par l’adultère mais je crois qu’elle, était plus déçue que moi. Du fait que son plan n’ait pas abouti. Elle en a pleuré pendant trois semaines.
_ Ce n’est pas à vingt-six ans qu’on peut trouver du travail !
Je me sentais coupable de lui avoir, alors un temps, reproché ce petit écart. Une femme inactive rappelant trop le modèle patriarcale fascisant, je lui ai fait un puis deux enfants afin de légitimer sa présence à la maison. Elle en oublierait par la même occasion l’inaboutissement de ses études artistiques.
Pour ne pas fâcher nos parents respectifs empreints de valeurs, nous nous sommes mariés dans la foulée. Puis Alphonse et Léontine virent le jour. Ces prénoms étant alors totalement hors d’usage lors de leur naissance, ils feraient à coups sûrs fureur dans la cour d’école. Nous ne voulions pas qu’ils partent d’un mauvais pied dans la lutte sociale qui les attendait. Secrètement nous espérions qu’ils forment un couple aussi harmonieux que le notre, qu’ils soient un modèle miniature de notre binôme.
Peu de temps après la naissance de Léontine, les médecins ont découvert que ma femme était atteinte de tumeurs multiples.
_ De tout ce qui fait d’elle une femme.
Avait alors dit le gynécologue. S’en était suivi une hystérectomie avec ablation annexielle ainsi qu’une ablation des deux seins. Nous nous sommes gardés de le dire à nos amis et habillée, ça ne se voyait pas ou si peu, les seins étaient remontés ce qui d’extérieur était un plus. Son vagin était devenu plus douloureux, nous pratiquions alors l’amour anal bien plus souvent qu’à l’accoutumée - à savoir le samedi soir et pendant les périodes de menstruations. Dans les clubs libertins que nous fréquentions, il y avait toujours un mec un peu vicieux, taré pour la besogner et même être attiré par ses seins alors que la reconstruction n’avait franchement pas la même couleur de peau et que le tatouage mamelonnaire laissait vraiment à désirer. Si la différence peut exciter, elle ne doit en aucun cas être accompagnée d’invalidité, c’est pourquoi sur le parking du club je badigeonnai son vagin de xylocaïne afin qu’elle ne soit pas incommodée par des rapports dits traditionnels.
Il y aussi eu une ostéoporose précoce, je guettais alors à chaque coin de couloirs ses pas hésitants, supportant son dos qui se courbait de plus en plus, pour prévenir la chute et la fracture du col du fémur suspendue comme une épée de Damoclès au dessus de notre perron. J’avais préprogrammé le GPS pour qu’il m’indique le chemin des urgences au, cas où. Cette attitude paternelle me valait les faveurs de sa famille, ils étaient alors enclins à ce qu’on ne viennent plus qu’un dimanche tous les deux mois et nous pardonnait le retard dans le baptême de nos enfants qui avait eu lieu pendant les grandes vacances, pour que l’on ait peu de chances d’être vu par nos amis franchement anticléricaux.
Politiquement je me suis toujours senti concerné par le sort de mon prochain, c’est pourquoi j’ai toujours voté à gauche – comme mes parents. Je n’ai jamais adhéré au parti dominant car il était trop souvent envahi d’une idéologie nazie de droite et je ne pouvais alors cautionner cela, bien qu’au final mon vote leur revenait toujours. J’ai songé à la gauche extrême mais avec l’argent que je gagnais et une femme inactive je n’aurai pas été bien vu.
L’année dernière j’ai voulu emmener Alphonse à la manifestation pour protester contre le second tour de la présidentielle Jean-François Copé contre Marine Le Pen. Pour le sensibiliser à l’engagement politique dès le CE1 et pour également montrer mon désaccord. Surtout qu’en week-end en Normandie à ce moment-là je n’avais moi-même pas pu voter. Ayant pris mon jour de congé je suis aller voir son instituteur pour lui expliquer la situation. Son regard d’ahuri m’a paru comme un refus, de toutes façons il n’a pas son mot à dire. Quittant l’école j’en ai profité pour écrire « nazi » sur sa voiture avec les clés de la mienne. L’enfoiré devait voter à droite, c’était maintenant une certitude.
Ma femme et moi occupions nos jeudi soirs à aller vers notre prochain. Nous servions la soupe populaire dans un centre où la misère humaine manquait souvent de peu de nous mettre la larme à l’œil. Entre les haleines alcoolisés et les visages crouteux, nous étions heureux de pouvoir venir en aide à ces pauvres gens, de leur apporter un peu de réconfort. Nous avions acheté doudounes et bonnets Quechua que nous mettions uniquement les jeudi soirs, ce qui nous protégeait du froid, des contacts trop rapprochés avec les miséreux et dissimulait nos vêtements plus onéreux qui auraient pu prêter à confusion sur la réelle valeur de notre engagement. Nous faisions une lessive spéciale vêtements de surface à notre retour puis nous les rangions soigneusement en attendant sagement la semaine suivante pour les ressortir.
Un soir un pauvre homme délaissé par la société moderne a pisté la Fiat Punto dont nous nous servions uniquement à cette occasion jusqu’à chez nous, à peine sortis il est venu à nous nous suppliant de l ‘héberger pour la nuit. Ma femme a pris peur, je lui en ai collé une par surprise et j’ai profité qu’il soit à terre pour démarrer en trombe. Ma femme ne voulait pas passer la nuit à la maison de peur qu’il revienne dans la nuit.
_ J’ai du payer une nuit à l’hôtel pour nous deux !
Le lendemain nous avons déposé plainte et depuis cet incident, nous n’allons plus à la soupe populaire. Fort malheureusement.


Merci à celui qu'on appelait Pénis Gaufrette, musique référence et un cinq centième de texte.

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