19 janvier 2007

Prolégomènes à la science de la vie.

Je suis en stage en gériatrie, bonsoir.

Mardi en soins palliatifs, Mamie 326, 85 ans, tétraplégique et léthargique en phase terminale de cancer s’est vue suspectée d’un fécalome. De la suspicion il a fallu passer à la vérification et donc au toucher rectal. Je ne sais pas exactement ce qui c’est passé, si j’ai eu un moment d’absence ou quelque chose comme ça … en vérité je pense que j’ai du être le moins rapide des étudiants à sortir « ah pas moi ! J’ai quelque chose à faire. ».

Sa chambre donne sur Pirmil, un gros carrefour. Des voitures, des bus, des trams. Au moment où j’ai introduit mon doigtier lubrifié de vinyle dans son orifice, là, j’ai eu une absence… j’ai regardé par la fenêtre, je pensais à autre chose.
Et pendant que j'enfonçais mon doigt dans le fion d’un cadavre en devenir, je pensais aux gens qui baisaient sans relâche, en ce moment. Je ne les enviais pas, non pas que ma position soit plus enviable que les leurs, non, c’est juste que j ‘en enviais d’autres. Ceux que j’envie sont ceux qui sont dans les bras d’une mère, d’une aimante, ceux qui respirent dans le creux du cou un parfum délicat plus que de l’air, ceux qui sont entourés d’un halo de douceur, de bras de lin, des caresses de cheveux, ceux qui s’en foutent du sexe et qui pourraient mourir en paix dans la seconde. Et de ceux-là j’exclue ceux qui font les faux-romantiques, arborent un masque fait d’yeux doux et de beaux mots alors que leur seul souhait est de s’agiter frénétiquement en sueurs au-dessus d’un corps de nonne opposé non opposant [mais non-ménopausé] le tout dans une atmosphère moite et emplie d’effluves corporelles. Sorti de son intérieur, je suis resté un moment les yeux dans la vague, à regarder cette perpétuelle agitation extérieure. Dans cet endroit où tout se passe au ralenti je voyais au dehors des voitures, des bus, des trams. Des gens qui avaient une ligne, tracée au préalable. Ils semblent au travers de leur détermination à passer le premier au carrefour avoir un but précis. J’observe les lignes décrites par leur mouvement. Quel est leur point d’arrivé ? Quelles sont leurs motivations ? Pourquoi décrivent-ils ce mouvement ? Je suis perdu, il y a des fois où je ne me sens pas en phase avec ce monde, cette fourmilière.

Je cligne des yeux, je reprends mes esprits. Je jette mon gant, je sors. Le médecin me tombe dessus :
« _ Alors ?
_ Je n’ai rien senti… maintenant j’ai peut-être le doigt trop court. »
Je lui agite mon index sous le nez, regrettant un peu que le gant empêche la fixation de l’odeur que j’aurais ainsi pu partager avec lui.

Sinon.

Cette semaine, je me suis dit que voterais peut-être Ségolène Royal. Je la regardais s’expliquer sur FR3 de l’éviction d’Arnaud de Montebourg et je me suis dit qu’une personne comme ça ne pouvait pas faire une mauvaise présidente. ADM a été ignoble, et moi à la place de SR je serais entré dans une colère noire ! Mais elle, non, elle s’explique, calmement, sereinement, avec son éternel grand sourire niais émail diamant, vêtue d’un halo de blanc virginal. « C’est un petit carton jaune que j’ai mis à mon copain Nono ». Vous imaginez le monde idyllique où elle serait présidente, avec elle toutes les mauvaises nouvelles seraient annoncées avec un grand sourire comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. J’aimerais être médecin comme elle serait présidente. « Ce petit cancer du larynx que vous avez là madame, c’est juste un petit carton jaune de la nature, de votre corps, un retour à l’ordre juste en quelque sorte, fallait moins fumer. Pas de cigarettes pas de trachéotomie. » « Vous savez cet accident vasculaire cérébral que vous avez fait qui vous donne cette aphasie/hémiplégie/amaurose [rayez la ou les mention(s) inutile(s)], c’est un petit carton jaune parce que dans votre vie vous avez mal mangé. Si vous regardiez des films intelligents comme Super size me, ce genre de film qui montre que manger tous les jours au mac do rend gros et crée de graves problèmes de santé enfin toutes ces vérités absolument pas évidentes QUE PERSONNE NE SAIT, qu’il fallait bien se vanter d’être de la contre-culture et d’être subversif pour en faire un film… et bien vous auriez su, vous auriez fait partie de l’élite intellectuelle. Mais vu votre tête de beauf vous devez regarder TF1 et vous devez vous goinfrer de mac do et autres saloperies à longueur de journée … et bien c’est pas bien … HOP ! haha carton jaune ! »
Donc, un moment je me suis dit que je voterais pour elle, parce qu’avec le socialisme, c’est sur, les gens seront moins pauvres et surtout plus beaux. Si le PS l’emporte les choses changeront, c’est évident.
Je me moque, moi qui risque de voter blanc par dépit si l’on a le second tour que les médias nous promettent.

En sortant de la douche, je pensais à mon petit corps sain tout en m’essuyant. Je m‘extasiais devant l’harmonie du fonctionnement symbiotique de mes cellules. A y regarder de plus près, j’ai pensé que ça ne me ressemblait pas, que dans mes 60 ans de vie il y aurait forcément un problème, un dysfonctionnement, une couille quoi. C‘était inévitable. Une cellule un peu bâtarde, différente des autres qui refuserait de mourir, cherchant par tous les moyens à échapper à la censure et à l’oppression ne voulant ni plus ni moins que sa mort, pompant toute mon énergie pour sa propre survie à elle. Une cellule qui en engendrerait une autre, puis une autre et ainsi de suite jusqu’à ce que l’association des cellules anormales mais immortelles triomphent du reste des pauvres cellules mortelles normales.

Il y a des fois où je me dis, qu’à l’avenir, je ne m’exprimerai plus que par aphorismes. D’autres je me dis que je lis trop Cioran.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Si tu faisais un toucher rectal à Ségolène, tu penses qu'elle arborerait son grand sourire ?

Anonyme a dit…

Je me fais souvent la même réflexion et opte trop fréquemment pour l'isolement et la non-communication. Je me réfugie dans les livres.
Je n'ai pas seulement le sentiment d'avoir lu un excellent texte (reçu via PlanetCioran), je l'ai 'vécu'de l'intérieur avec une force difficile à décrire avec des mots. Je me sens beaucoup moins seul lorsqu'il m'est donné de découvrir un être dont je partage les vues à ce point. Merci
Hervé

Anonyme a dit…

Cette poésie du quotidien me laisse sans voix. Mais j'aime vous lire. Continuez.

Cordialement,
MC

Unknown a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Unknown a dit…

Juste un petit mot pour te dire que je viens de tomber par le plus grand des hasards sur ton blog en allant visiter celui de Manuel Canevet, et je dois dire que je suis subjuguée par ta façon d'écrire. J'adhère totalement.À quand un bouquin!

Spirale a dit…

Merci pour vos témoignages, commentaires. Je vous dirais bien que je vous aime les enfants mais ma pudeur me l'interdit.