09 décembre 2007

Lève la tête, tiens-toi droit.



Dix-neuf heures à l’hôpital, c’est l’heure que je déteste. L’heure où j’aimerais bien m’être déjà barré ou, tout du moins, être sur le point de le faire. L’heure où l’air est lourd dans la salle de soins, j’ai l’impression de porter tous les malades des étages supérieurs sur les épaules, du deuxième je suis l’Atlas de l’hôpital, je supporte la pneumo, la cancero, la neurochirurgie, la chirurgie plastique (bon ça c’est encore supportable) la médecine interne et l’ORL.

J’ai encore 45 minutes à une heure de transports en communs à me taper et il me reste un patient à voir. Je crains le pire, le plan foireux, le dossier médical réparti en trois dossiers, l’histoire de la maladie plus complexe qu’un Lynch ou encore la maladie ultra rare qu’évidemment je ne connais pas.

Bon, j’ai été trop pessimiste : le dossier est fin et propre donc récent. J’ouvre, c’est un médecin, un ancien psy, ça va, un médecin ça veut dire que l’interrogatoire ne va pas être trop difficile, qu’il soit à la retraite signifie qu’il ne va pas être trop chiant, pointer son doigt sur des lacunes qu’il pourrait dépister chez moi. Alors j’y vais sans lire le reste du dossier, l’interrogatoire avec ma bite et mon stylo.

Il est seul dans sa chambre, coté fenêtre, assis sur la chaise visiteur le coude contre la vitre, la tête portée par la paume de sa main, il regarde à l’extérieur… autant dire dans le vide. Vide, son regard est par moment vide, absent. A cette heure là, les patients s’abrutissent généralement devant la roue de la fortune ou le grand journal, lui non. Il y a un livre posé sur la table mais je pressens qu’il est insomniaque, qu’il le commencera vers 22 heures et qu’il sera toujours dessus à 3 heures du matin. Il est négligé élégant, toujours bel homme mais le départ de sa vitalité est perceptible, dandy usé, jusqu’à la corde. Les présentations sont classiques bonsoir je suis l’externe, bonsoir je suis le malade, ….

« _ Dites-moi pourquoi vous êtes hospitalisé monsieur ?
_ Je suis insuffisant cardiaque.
_ C’est votre cardiologue qui vous adresse ici ? (surpris, je suis en rythmo, il est insuffisant, il y a une faiblesse dans la logique)
_ Non, en vérité ma femme m’a quitté parce que je ne savais pas ouvrir mon cœur, je ne lui fournissais pas assez en bonnes émotions, mon cœur n’expulsait pas assez en quelques sortes, pour ça que je dis insuffisant. Vous savez, il y a les incontinents, ceux qui ne peuvent retenir leurs émotions et les insuffisants, ceux qui ne peuvent les exprimer. Insuffisant cardiaque est une belle métaphore, je trouve. En vérité (me regardant vraiment pour la première fois) j’ai un trouble du rythme, un bloc auriculo-ventriculaire de type II – Mobitz I… symptomatique, des syncopes …mais je ne sais pas si ça a un rapport, les pertes de connaissance ont commencés quand ma fe… (cette fois il se détourne totalement de la fenêtre et me fait face, le dialogue commence) … pardon mon ex-femme m’a quitté. D’une façon comme d’une autre je suis handicapé du cœur.»

Le contact passe, malgré tout, il a l’air de s’en foutre d’être ici, d’être malade. Il a parfois l’impression d’avoir un abdomen et un thorax vide, un esprit muré dans un corps trop vide et trop grand. Il n’a pas peur de la mort, sans la provoquer il la désire. La lassitude des week-ends de célibataires devant un écran à enchaîner un Mocky un porno jusqu’au Lundi matin. Un mocky un porno. Mocky-porno-mocky-porno-mocky-porno-mocky-porno-mocky-porno-morny-porko… l’apanage du célibataire en RTT, jusqu’à ce que la prostatite ou la tendinite s’en suive, c’est à qui faiblira en premier, jusqu’à ne plus savoir si l’on regarde un mocky ou un porno, jusqu’à ne plus savoir si’ l’on pleure où l’on éjacule. Je n’ai jamais compris les éjaculations faciales (si ce n’est l’aspect humiliation et tout ce bordel) voir son sperme renvoie à une pathétique image de soi, voilà pourquoi les hommes ont toujours cherché à le cacher, à l’enfouir, qu’on ne puisse jamais le retrouver.

Il a peur de perdre la mémoire aussi. Ce n’est pas la perte qui l’effraie, c’est de ne pas savoir ce qui partira en premier. Le souvenir d’avoir aimé comme il l’a fait ou le goût amer de la déception. Le bonheur ou la tristesse. Amnésie sélective, c’est le doute qui angoisse.

« Au moins il fait chaud, ici, avoir froid et rechercher une chaleur organique absente, rien de pire… » Sur ses mots nous nous quittons, pour la journée, pour le week-end aussi.

Je complète mon observation avec son dossier, du lexomil dans son traitement n’a rien de surprenant. Je le sais, ça calme le mal de cœur, quand il s’est fait prescrire ça il devait avoir des images de sa fe… pardon son ex-femme pénétrée par des pénis qui n’étaient pas le sien, elle devait aimer ça, à coups sûrs, elle devait haleter en demandant encore. Des hommes vulgaires, lui l’avait aimée mais ça n’était pas suffisant alors ça n’a rien de surprenant. Le lexomil ça calme les douleurs de type angine de poitrine sur coronaires saines.

Je sors avec de la compassion pour cet homme, j’ai sauté la barrière de l’empathie professionnellement définie. Je sors avec le sourire aussi, Sufjan Stevens y est peut-être pour quelque chose. Sortir, rencontrer des gens, peut-être intéressants, on ne sait jamais. Ca me donne le sourire même si cette soirée s’achèvera d’une façon (à la probabilité élevée) tout à fait banale, j’espère juste être assez usé physiquement pour ne pas avoir la force de regarder un Mocky.

Il ne faut jamais lire Schopenhauer quand on est heureux, encore moins avant l’amour au téléphone. Le cas échéant, envoyer des fleurs.



Girls in HawaiiJoking about my life [Chez Lenoir, s’il vous plaît]

Cette chanson me tue.


PS : Ségolène Royal publie un livre Ma plus belle histoire c’est vous. Les derniers mots sont « Je ne sais pas où et quand mais nous nous rencontrerons à nouveau ». On a de la chance quand même, de ne pas avoir élu la présidente Marc Lévy. De la niaiserie en barre, rien de plus.

UMP : Les déçus de Sarkozy se font déjà entendre, c’est bien marrant, je le disais depuis le début, rien ne changera, cet homme n’est que le Mitterrand de 2007, une vaste esbroufe qui en laissera plus d’un sur le carreau.

Finalement, le 6 mai, le seul vote humainement supportable était bel et bien le vote blanc. Ca aussi, ça me fait sourire.


Et bam, en vidéo en plus :


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