06 décembre 2006

Le désert des Tartares

Je m’inspire de Buzzati, mon vieil ami Dino qui a su si bien parler de la fatalité, de la banalité de l’existence humaine, de l’attente et de l’ennui.
Tout ça résume assez bien ma vie, ou plutôt mon existence tant le néant l’emplie, tant j’attend sans plus y croire, tant « qu’est-ce que je m’ennuie » est la phrase que je réussis le mieux en ventriloquie, les yeux dans la vague, la bouche fermée, je soupire avec le nez.
J’ai 21 ans, je ne sais pas si c’est le problème.
Les individus de ma génération me révulsent, je ne sais pas si c’est le problème.
Ce qu’on partage, eux et moi, c’est le néant. Eux évoluent à l’intérieur de celui-ci, on dirait même qu’ils s’y complaisent, ils sont contents de leur vie faite de rien, de leur évolution stagnante. Moi je n’y arrive pas. « Salut ça va ? Tu commences à quelle heure lundi ? T’as payé tes impôts ? Sympa le nouveau Delerm… » J’ai du mal à porter intérêt à ce genre d’échanges, A. non plus. A. me fascine, il observe, observe, observe et au bout d’un moment me lâchera le fruit de son analyse juste à l’oreille et tout me paraîtra d’une évidence indiscutable. A. est à Angers et les seules sorties que l’on avait en commun commence à le lasser. Lui aussi.

Alors la nuit je lis malgré mon sommeil évanescent et F. Inter qui me réveille à 6h15 parce qu’il faut être dans le service de neurotrauma à 7h30. En ce moment j’aime les livres courts, 150 pages maximum, j’ai eu mon overdose de romans de 500 pages avec 100 pages d’intro et seulement les 50 dernières de captivantes. Laurent Graff. Le cri [Il y a de moins en moins de voitures ; l’autoroute devient déserte. Un péagiste demeure seul dans sa cabine. Quelques individus résistent à un « bruit » inconnu, une clameur, un son meurtrier qui décime l’humanité. Le vol du Cri, célèbre tableau d’Edvard Munch, a inspiré à l’auteur cette histoire de fin du monde, qui est aussi la fin du monde d’un homme.] Des thèmes qui me parlent, une écriture succulente et une galerie de personnages qui marquent comme Daniel, le flic-radar de l’autoroute qui face à la désertion du trafic se laissera aller et finira par venir travailler habillé en chanteur des années 70, tout en blanc et col pelle à tarte ou encore Gilbert, l’inventeur des camionnettes, maisons closes ambulantes dont l’idée lui est venue car dans sa jeunesse il était conducteur de Bibliobus. Et en plus à l’entrée du livre on croise Kerouac et Renaud Papillon Paravel. J’ai découvert Cioran et si je veux être un génie comme lui il me reste huit mois pour écrire un livre à la hauteur de Sur les cimes du désespoir.

Mis à part ça, le temps passe. C’est terrible de se voir vieillir, surtout à mon âge. On ne se reconnaît plus. Cette personne dans le miroir est une autre, je la regarde de derrière mes orbites, assis dans cette prison je n’ai pas changé et je regarde ce corps qui se modifie, qui subit l’emprise du temps. Métaphore du train. « Sommes-nous en mouvement ? Cela dépend du référentiel. »
Le temps prend tout, le temps est un aspirateur. Le peu qu’on a fini par se dérober. Je suis conscient qu’il doit y avoir des points positifs dans ma vie et que des gens donneraient cher pour être à ma place. Je suis sûr d’avoir un emploi de médecin d’ici quelques années, je suis pleinement valide, etc… mais je ne peux m’empêcher de focaliser sur ce qui ne va pas. J’aimerai qu’on me dise que je suis porteur d’une malédiction, accablé par les soucis je me réconforterais dans le caractère électif de la malédiction. Ca serait moi et pas un autre, j’ai été choisi pour être dans la merde. J’ai été choisi et tout de suite on trouve ça cool, avec un peu d’imagination on peut presque tutoyer du divin.

Dimanche soir la batterie de mon téléphone clignotait déjà quand je me suis rendu compte que j’avais oublié mon chargeur à Cholet. « O mon pauvre, ça doit être le retour au Moyen-Âge !». Mouais, ça m’a surtout gêné pour la fonction montre ou minuteur pour la cuisson des pâtes, le reste bof. Ce soir j’ai pu le rallumer et j’ai pu constater que certaines personnes avaient tenté de communiquer avec moi : « YOUYOU E.o!On vi1 tt just 2 terminé !La prochain fois c ac toi ou r1!Bizouill’ Bone nuit! » « Salu e. (là je n’ai pas le droit à la majuscule et mon prénom se retrouve amputé de la consonne finale… bonjour le respect !) est ce que tu pourrai ramené ma clé usb demain midi quan tu prendra ton preneur merci bon soiré Pier (pour lui, qui ne s’appelle même pas Pierre au passage, il n’oublie pas la majuscule, l’enculé !) » « Si vous AtenD demain je vous donne 1sujet bcp mieu et san erreur! Bone soirée mama » « t vien o tonus ? t vien o concer ? » Est-ce que ces personnes se rendent compte que quand, moi, je leur écris, je m’efforce d’avoir un langage décent avec eux ?

Demain sort en DVD la saison 2 de Carnivàle - La caravane de l’étrange. Souhaitons qu’il ne soit pas trop frustrant de regarder une saison qui n’a pas de fin.

C. m’a demandé si je pouvais écrire des paroles pour ses chansons, je me demande ce qui lui passe par la tête. Dans la mienne passe parfois des idées qui hélas repartent avant d’être saisie par mon stylo. Dans ma dernière insomnie il y avait même un vers où apparaissait le nom de Comte-Spontville, si je m’en étais souvenu j’aurai pu me la jouer grave avec. Voire même remporter le titre de l’homme le plus classe du monde. Un dernier défi car c’est vraiment ça qui me motive, peu importe l’enjeu, la valeur, la manière… seul le fait de se dépasser compte. Le revers c’est la facilité de l’accès de lassitude. Un des pires poisons qui soit.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

je viens de découvrir votre blog, et aussitôt, je me suis permis de l'ajouter à ma blogroll 'blog d'étudiant de l'université de Nantes'.

> http://toujoursplus.hautetfort.com

bonne continuation.
MC

Spirale a dit…

Merci MC.

Anonyme a dit…

Un petit livre, vite fait, en passant, 110 pages. L'auteur : Jean de La Ville de Mirmont, le titre : "Les dimanches de Jean Dézert", format poche chez "La Table Ronde", ISBN 2-7103-0848-7 (7 €). L'ennui, le néant, l'absurde réunis en quelques pages.
Amitiés
Hervé